Pertes d exploitation et surcouts : comment obtenir réparation
Les 3 étapes du processus d’indemnisation
Comme chacun le sait, le risque zéro n’existe pas. Certains risques se cristallisent, générant un sinistre, et par conséquent un préjudice, matériel et immatériel, susceptible d’ouvrir droit à des dommages-intérêts.
Si en théorie, cela paraît simple, en pratique, le processus d’indemnisation, que nous limiterons aux dommages immatériels – perte d exploitation, surcoûts – s’avère délicat à mettre en œuvre car il requiert à la fois des compétences juridiques, comptables et financières pour les détecter, les évaluer et les instruire.
Le plus souvent, ces sinistres font l’objet d’une procédure d’indemnisation que l’on peut diviser en 3 parties :
- 1ère phase : une décision de justice préliminaire (avant-dire droit) ou un accord entre l’auteur du sinistre et le sinistré, définit la mission de l’expert[1].
- 2ème phase : l’expert désigné remplit sa mission d’évaluation en fonction de la décision ou de l’accord susvisé.
- 3ème phase : une décision de justice ou un accord transactionnel entre les parties (ou leurs assureurs) fixe le montant de l’indemnité en fonction du rapport d’expertise.
Désignation de l’expert
Généralités…
Sauf cas particulier, tout préjudice immatériel – pertes d exploitation ou surcoûts, est, compte tenu des enjeux financiers, évalué par un expert, qu’il ait une origine contractuelle ou délictuelle. Dans un cadre amiable, soit les parties conviennent spontanément de la personne de l’expert et de sa mission, soit elles déposent, d’un commun accord, une requête au Tribunal de commerce destinée à faire nommer ledit expert et à borner sa mission. Les parties peuvent également convenir de recourir à un service institutionnel d’expertise, tel que le « Centre international d’expertise » de la Chambre de Commerce Internationale de Paris. Dans toutes ces hypothèses, l’expertise sera dite « amiable ».
Dans un cadre contentieux, ces éléments sont fixés par le Tribunal statuant en référé. L’expertise sera alors dite judiciaire.
…et cas pratique
Si un ensemble de sociétés appartenant à un groupe a subi un même préjudice, ces dernières ont intérêt à présenter une seule demande, notamment si l’activité est fortement intégrée. Les délais d’instruction seront accélérés et la société qui a déposé la déclaration au nom dudit groupe encaisse l’indemnité totale, à charge pour elle de la répartir entre les différentes sociétés. Un tel scénario suppose notamment que la première obtienne une délégation de créance de la part des secondes.
Ensuite, s’il est prévu que l’expert a pour mission d’estimer à la fois un préjudice matériel et un préjudice immatériel, les parties sont fondées à demander que l’expert désigné se fasse assister par un sapiteur, en l’occurrence un expert-comptable judiciaire spécialisé dans l’évaluation des dommages immatériels.
Evaluation par l’expert des pertes d exploitation
Avant de procéder à l’évaluation des pertes d exploitation et des surcouts proprement dite, il convient de circonscrire l’origine du préjudice. Cela semble beaucoup moins évident qu’il n’y paraît. Pour illustrer nos propos, citons deux exemples :
L’explosion le 21 septembre 2001, de l’usine AZF à Toulouse, a généré des préjudices en cascade. De nombreuses sociétés ont arrêté ou réduit provisoirement leur activité, entraînant à leur tour une baisse de celle de leurs fournisseurs, etc. Bref, comment détecter une perte de chiffre d’affaires dans une chaîne de valeur clients- fournisseurs ?
Pour cela, il est indispensable de disposer d’indicateurs de performance fiable (écarts entre réalisations de chiffre d’affaires de la période en cours et celles de la période précédente ou budgétées), et de bien comprendre, en liaison avec les opérationnels, dans quelle mesure les services ou produits du demandeur rentrent dans le processus de fabrication des clients.
De même, détecter tout surcoût dans un environnement de fabrication complexe requiert la fiabilité des écarts sur coût standard, une bonne connaissance du cycle de fabrication par le contrôle de gestion, et enfin une étroite collaboration entre celui-ci et la production.
Une fois le préjudice circonscrit, comment l’évaluer ? Quelles que soit la nature du préjudice (pertes d exploitation, surcoûts), la méthodologie d’évaluation reste sur le principe identique. Cependant, elle peut soulever des difficultés pratiques.
Méthodologie d’évaluation
La perte d exploitation se définit comme la perte de chiffre d’affaires, définitive et irréversible – ce qui exclut tout différé de chiffre d’affaires dans le temps – diminuée des coûts variables pour réaliser ce même chiffre d’affaires. Il n’y a pas lieu d’indemniser ces derniers puisqu’ils n’ont pas été engagés.
Pour estimer la perte de chiffre d’affaires, le demandeur se base idéalement sur des informations prévisionnelles précises – engagements d’achats, lettres d’intention, etc. A défaut ou en complément, il compare, à période comparable, le chiffre d’affaires après sinistre avec celui avant sinistre.
Théoriquement du moins, on estime l’économie de coûts variables par différence entre ceux qui auraient été engagés en l’absence de rupture de contrat et ceux qui ont été réellement engagés.
En pratique cependant, on procède rarement ainsi. Généralement, on calcule un taux de marge sur coûts variables[2], soit à partir de l’historique de rentabilité du contrat ou du secteur, soit d’après la comptabilité générale.
En appliquant ce taux au chiffre d’affaires perdu, on obtient la perte d exploitation. Par exemple, si le chiffre d’affaires perdu est de 1M€ et le taux de marge sur coût variable de 60%, la perte d’exploitation s’élève à 600 K€.
L’appréciation des surcoûts dépend bien entendu de leur nature. S’il est impossible de les isoler, on les estime par différence entre ceux qui ont été réellement engagés et ceux qui l’auraient été en l’absence de sinistre. Pour apprécier ces derniers, on retient alors les coûts prévisionnels établis au titre de la période postérieure au sinistre, et/ou les coûts réels, à période comparable, de l’année précédente.
Quant aux pénalités de retard, la simple production des contrats, des notes de débit et de leur imputation sur les factures clients est suffisante dans la plupart des cas.
…et difficultés pratiques
Le demandeur peut-il se prévaloir d’une perte de chance, c’est-à-dire de la probabilité que le contrat aurait pu être renouvelé à l’échéance ? Oui, si le sinistre interrompt ou réduit son activité pendant une durée au moins égale à la durée résiduelle dudit contrat.
Pour probabiliser cette reconduction, on retiendra notamment l’antériorité de la relation et les conditions dans lesquelles le contrat a été conclu. Ainsi, la perte de chance est faible pour un contrat remporté à l’issue d’un appel d’offres.
Si les pertes d exploitation et les surcoûts sont pluri-annuels, le demandeur doit actualiser les flux de trésorerie correspondants au Coût Moyen Pondéré du Capital (CMPC) du secteur ayant subi le préjudice, à défaut, de l’ensemble de l’activité.
Si un sinistre entraîne la disparition d’une activité, sa valeur, à défaut de prix de marché, est à calculer selon la méthode des flux de trésorerie actualisés. Simplifiée à l’extrême, cette méthode consiste à capitaliser le résultat d’exploitation au CMPC. La valeur ainsi obtenue est à minorer de la valeur liquidative de ladite activité. Le réclamant ne peut pas alors solliciter une indemnisation au titre de la perte d’exploitation, au motif qu’elle fait partiellement double emploi avec celle concernant la disparition de l’activité.
Enfin, le demandeur ne peut faire état des coûts fixes qu’il n’a pas engagés à la suite du préjudice. Il peut avoir réaffecté provisoirement les immobilisations ou une partie du personnel sur d’autres contrats ou activités. Il doit alors minorer la demande des économies de charges de personnel et des dotations aux amortissements correspondantes.
Le tableau ci-après permet de synthétiser les méthodes d’évaluation susmentionnées, tant au niveau des généralités que des difficultés pratiques.
Achèvement de l’expertise
Les évaluations des pertes d exploitation et des surcoûts par l’expert sont consignées dans un rapport remis au juge et aux parties en cas de procédure judiciaire, aux seules parties en cas d’expertise amiable.
Dans les deux hypothèses, ce rapport peut servir de base soit à un règlement amiable du litige, les parties en acceptant les conclusions, soit à un règlement transactionnel où les parties, dûment éclairées par le rapport, mettront un terme au litige moyennant des concessions réciproques. Un tel règlement transactionnel peut naturellement intervenir à tout moment au cours de l’expertise.
Faute d’accord, le sinistré peut saisir le juge et demander une provision en référé.
En conclusion, pour obtenir une réparation correcte à la suite d’un préjudice, tout en minimisant les coûts et les délais, il faut bénéficier d’un contrôle interne de qualité et d’une excellente collaboration tripartite – Contrôle de gestion, opérationnels et services juridiques. Et dans ce contexte, c’est le premier qui est un chef d’orchestre. Bref, la multiplication des risques et donc des préjudices démontre une fois de plus le rôle crucial du contrôle de gestion dans nos entreprises.
[1] En cas de lenteur dans le déroulement de cette première phase, le sinistré peut, notamment à titre conservatoire, faire entreprendre une évaluation par un expert de son choix. Cette évaluation pourra être ensuite soumise à titre indicatif à l’expert désigné au terme de cette première phase
[2] Rapport (chiffre d’affaires – coûts variables)/chiffre d’affaires)
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