DAF dans une start-up : à nouvelle économie, nouvelles responsabilités ?

Les créateurs d’entreprise sont souvent sous les feux de leur entreprise, notamment lorsqu’ ils parviennent à lever des fonds et médiatisent la stratégie de la société, ou bien encore lorsqu’ils revendent celle-ci, en empochant souvent des plus-values importantes.

Ces constats ne doivent pas faire oublier le rôle des autres cadres dirigeants et notamment celui du directeur administratif et financier (DAF). Avec la mise en place progressive d’une organisation,  consécutive à la levée des fonds, le DAF devient l’un des hommes clés de la start-up, sur lequel repose en partie le succès de L’entreprise. Les fondateurs de Boo.com expliquaient la faillite de leur entreprise, entre autres, par L’absence d’un responsable  exerçant un véritable contrôle des coûts.

Comment réagissent et s’organisent les DAF dans ces entreprises au développement exponentiel dans un environnement économique instable ? Pour le savoir, nous avons interrogé une dizaine de financiers de ces start-up afin de mieux appréhender leurs responsabilités et leur mode de fonctionnement. La moitié de ces start-up se compose de sites de commerce électronique (« dot. coms »), l’autre moitié représentant des sociétés de services informatiques (SSI).

La quintessence de ces entretiens nous conduit à souligner tout d’abord les points communs à tous les DAF. avant de traiter les particularités propres aux DAF de start-up.

Mais pour mieux comprendre dans quelle mesure ces responsabilités peuvent être différentes, il convient de décrire préalablement le processus de développement d’une start-up et en conséquence celui du service administratif et financier.

A sa naissance, le projet ne regroupe que les fondateurs. A ce stade, la start-up ne réalise aucun chiffre d’affaires quand elle n’a aucune existence légale. Tout au plus l’un des associés est en  charge de I ‘ensemble des tâches administratives et financières. Ces fondateurs vont donc se mettre en quête de capital d’amorçage (seed capital) pour développer leur projet. Si la rédaction du business plan est l’œuvre de toute l’équipe, celui qui va le traduire en chiffres devient le « responsable des relations avec les investisseurs » et des finances en général. Souvent, cette personne est L’animateur de l’équipe, car cette capacité à convertir une stratégie en chiffres requiert une certaine polyvalence. Mais à ce stade du projet, L’activité de la société se limite, en dehors du business plan, au financement des premières opérations de développement technique (recrutement de techniciens). Les tâches administratives et financières sont en grande partie sous-traitées à un cabinet d’expertise-comptable.

Une fois le capital d’amorçage mis en place, la société connaît une nouvelle phase de développement, en procédant au recrutement de nouveaux techniciens pour accélérer le développement du produit. Le département marketing, très léger, se contente d’identifier les clients ou partenaires, et d’entrer en contact avec ces derniers pour proposer les futurs services de la start-up. Le paysage financier se modifie bien entendu, puisque les dépenses augmentent fortement mais surtout parce que les capitaux-risqueurs demandent régulièrement des comptes sur L’emploi des fonds. Le rôle du financier consiste notamment à s’assurer du respect du business plan et par conséquent, de la consommation de cash (on parle alors de « burn rate »).

La maîtrise de cette consommation de cash demeure fondamentale car elle permet de mesurer la crédibilité du projet vis-à-vis des capitaux-risqueurs actuels et futurs.

En conséquence, la charge de travail s’alourdit considérablement pour le responsable des finances. « Je passe plus de 50 % de mon temps à étudier traiter les problèmes financiers de tout ordre », confie Thomas Gross, directeur général d’Oxydian, SSII en train de développer un logiciel de détection de pannes informatiques. Pour autant, l’embauche d’un DAF n’est pas encore à l’ordre du jour.

Ce n’est qu’au moment du second tour de table que l’entreprise se dote d’un DAF à part entière : Si l’embauche d’un DAF est exigée par les capitaux-risqueurs, sa présence devient très rapidement nécessaire. En effet, cette levée de fonds, beaucoup plus importante que la précédente, permet à la société d’entrer dans la phase de développement exponentiel de son chiffre d’affaires, et d’envisager à terme une éventuelle introduction en bourse. La structuration de L’organisation dans son ensemble entraîne celle du service financier.

Quels éclairages la description de l’environnement de la start-up nous apporte t- elle sur les points de convergence entre DAF de L’ancienne et de la nouvelle économie ? En fait, on peut en déduire deux convergences :

  • Un profil similaire,
  • Un champ de responsabilités comparables,
  • Un profil similaire à celui des DAF- des entreprises de l’ancienne économie

Le profil de notre nouveau DAF reste, en terme d’expérience et de formation initiale, globalement le même que celui des entreprises de L’ancienne économie. Après avoir été diplômés d’une grande école de commerce ou de gestion, tous ont déjà exercé des responsabilités analogues essentiellement dans des entreprises de L’ancienne économie.

Toutefois, certains d’entre eux exercent pour la première fois des responsabilités de DAF, après avoir déployé leurs responsabilités au sein des cabinets d’audit et de conseil.

Comme dans toute société, l’historique, la taille et l’activité, et la stratégie financière de la société conditionnent le profil du DAF. Schématiquement, on peut classer les directeurs financiers en deux catégories, selon qu’ils exercent dans des « dot.com » ou dans des SSII.

Dans les premières, le DAF a rarement plus de trente ans, ne dispose que d’une expérience limitée, voire d’aucune expérience de DAF, avant son embauche dans la start-up.

En revanche, dans les SSII, le DAF, généralement proche de la quarantaine, disposait d’une expérience significative en tant que DAF.

Cette sensible différente en termes de profil peut avoir plusieurs explications. Tout d’abord, les directeurs financiers ont dans leur ensemble le même âge que les fondateurs de la société, sûrement parce que ces derniers souhaitent minimiser avec le DAF les décalages de perception en termes d’expérience et de comportement. Cette supposition se trouve confirmée par le nombre important de directeurs financiers (environ 1/3) qui entretiennent avec les fondateurs des liens d’amitié.

Une autre raison, plus fondamentale, procède probablement de la stratégie financière de la société. Aucune « dot.com » interviewée n’envisage une introduction en bourse. En revanche, une SSII a déjà procédé à la mise d’une partie de son capital sur le marché, et trois autres envisagent une telle opération à moyen terme. Une telle opération nécessite d’avoir une certaine expérience de la négociation avec les autorités de marché, les banques d’affaires et bien entendu les investisseurs. » Ce n’est pas un critère foncièrement rédhibitoire de ne pas avoir participé à une introduction en bourse, mais cela aide énormément », précise François Bernard, ancien directeur financier de Cryo Interactive, aujourd’hui chez Mediapps, qui envisage sous deux ans la mise sur le marché d’une partie de son capital. Quelle que soit l’entreprise, notre enquête démontre que les responsabilités des directeurs financiers restent les mêmes : contrôle des coûts, suivi de la trésorerie, établissements des états financiers périodiques annuels, etc.  » Dans les définitions de nouvelle ou d’ancienne économie, il y a toujours le mot économie. En conséquence, la rentabilité et le cash doivent rester la première de nos préoccupations » confie M. Pinse, DAF d’Aquarelle, une société ayant réalisé l’une des plus grosses levées de fonds en France.

Une majorité des directeurs financiers sondés s’accorde pour dire que l’étendue de leurs responsabilités s’apparente à ce qu’elle serait dans une PME de I ‘ancienne économie. S’agissant de sociétés récentes, ces directeurs financiers disposent de services réduits et assument directement les responsabilités susmentionnées

Alors peut-on en conclure qu’il n’existe que des points de convergence entre le DAF de l’ancienne économie et celui de la nouvelle économie ? En fait, là encore,  en filigrane de la description du contexte dans lequel est embauché le DAF, on peut deviner les particularités.

Celles-ci s’expriment moins dans l’étendue que dans le mode d’exercice des responsabilités. Contrairement à une entreprise établie, la forte croissance de la start-up raccourcit considérablement l’échelle du temps. En d’autres termes, le « pilotage et la maîtrise de la croissance » ne se déclinent pas toujours selon les mêmes priorités, au fur et à mesure que se structure l’entreprise.

Cependant, les DAF voient leurs responsabilités accrues par la présence de capitaux-risqueurs dans le capital des start-up. En effet, l’implication d’investisseurs privés dans le capital de PME constitue un phénomène relativement nouveau dans le paysage financier français.

Cette différence dans L’exercice des responsabilités se décline en trois paliers :

  • en premier lieu, au niveau des priorités,
  • ensuite, sur le plan technique,
  • enfin, sur le plan relationnel.

Au niveau des priorités, la structure progressive de la start-up entraîne la plupart du temps une modification sensible des priorités. Dans certaines sociétés, le volet juridique du DAF est considérable. Il doit suivre l’élaboration des contrats, être en relation constante avec les avocats pour sécuriser au maximum les relations avec les tiers, notamment les clients.

La création de filiales à l’étranger entraîne une charge supplémentaire de travail non négligeable. Trouver la forme juridique et le mode d’imposition appropriés constitue souvent un casse-tête. Dans le même ordre d’idées, la gestion des ressources humaines, qu’il s’agisse du recrutement ou de la mise en place d’un plan d’épargne salariale, peut absorber une partie significative du temps disponible. Pour Philip Dean, cet aspect-là est tellement important qu’il en vient à modifier légèrement la vision de sa fonction à court terme.  » Pour l’instant, mon rôle est plus celui d’un facilitateur que celui d’un contrôleur ».

La recherche des locaux fait partie également des préoccupations, notamment dans le contexte actuel de raréfaction de L’offre et de montée des prix et de développement exponentiel des effectifs. Pour Philip Dean, cette priorité représente une part non négligeable de son temps de travail. Guillaume d’Ocagne, DAF d’Intercall, précise que les locaux actuels n’ont pas été trouvés sans difficultés, compte tenu de « l’incertitude liée à l’évolution du marché immobilier ».

Ces nouvelles priorités, qui requièrent une grande polyvalence du DAF conduisent-elles les directeurs financiers à négliger, au moins au cours de la phase de décollage, leurs activités traditionnelles ? Apparemment, non car la maîtrise de la croissance et des dépenses, ainsi que la mise en place de procédure de reporting demeure une préoccupation majeure. Preuve de constat est également constituée par les critères de performance spécifiques à la start-up.

Sur le plan technique, la structuration progressive de la société peut obliger le DAF à faire des choix techniques qui ne semblent pas en conformité, du moins à court terme, avec les canons de l’orthodoxie financière. Les start-up rentables étant rares, le DAF est obligé de substituer aux critères traditionnels de rentabilité d’autres indices de performance. La nature de ces critères dépend largement des types de marché sur lequel se positionnel a start-up. Pour les « dot.com « , où la stratégie à court terme consiste souvent à privilégier la croissance, en espérant bénéficier de l’avantage du premier entrant sur le marché, la croissance du chiffre d’affaires et des dépenses de marketing, le rapport nombre de visites/nombres d’achats (taux de transformation), priment sur la rentabilité même lorsque la société accuse des pertes importantes.

Pour une SSII où la pression du marché est moins forte, l’évolution des effectifs techniques semble primordiale, car elle permet de s’assurer que l’avancement du logiciel est conforme au plan de développement. Philip Dean. DAF de Netonomy, explique : « nous produisons tous les mois les états financiers pour nos actionnaires, mais ce qui les intéresse à court terme, c’est la croissance des effectifs techniques en particulier. »

Bref, le contrôle des dépenses dans les SSII semble, même à court terme, beaucoup plus marqué que dans des sites marchands destinés au grand public. Il apparaît que dans les SSII, le DAF utilise, du moins à court terme, davantage le business plan comme outil de contrôle de gestion que dans les « dot.coms » –

Sur le plan relationnel, contrairement à de nombreuses entreprises déjà établies, petites ou non, la startup dispose d’une structure légère et informelle, sans relations hiérarchiques clairement établies ni de services très structurés, composée d’un personnel jeune rejetant les luttes de pouvoir.

Le service financier n’échappe pas à cette règle. Par conséquent, le DAF, doté d’une très grande autonomie, est responsable de ses propres objectifs devant la direction générale. Le goût pour l’initiative et dans une certaine mesure pour le risque sont sûrement les qualités régaliennes du DAF d’une start-up. « Je suis parti de Cryo Interactive parce que l’activité de l’entreprise commençait à rentrer dans une phase de croisière », affirme François Bernard. Dans un tel contexte, le DAF s’entoure d’un à deux collaborateurs dont la polyvalence et l’autonomie permettent de pallier la taille réduite du service financier. Pantouflards s’abstenir…

Le caractère informel des relations se manifeste aussi avec les pairs, directeur marketing ou technique, voire avec la direction générale. Le DAF n’hésite pas à se mettre en relation directe avec ces chefs de service pour résoudre une difficulté rencontrée, ou pour faire « passer » un message clair, notamment à l’intention du service technique.

Esprit d’initiative, bonnes capacités de communication, ouverture d’esprit, capacité à se remettre en cause. Telles sont les qualités humaines qui doivent nécessairement compléter le bagage technique du DAF d’une start-up.  » Le DAF doit avoir la porte ouverte, être capable de comprendre parfaitement et rapidement l’activité et les modèles économiques de l’entreprise « , tranche Rémi Guionie, directeur du développement de Comparatel, société de onze personnes dont  l’activité consiste à offrir une information complète sur les télécommunications.

Le financement des start-up par des investisseurs privés change de façon notable le rôle du conseil d’administration. Grâce notamment à l’expertise et aux carnets d’adresses des  capitaux-risqueurs, ce dernier cesse d’être inféodé au PDG pour retrouver ses véritables lettres de noblesse, qui sont de le conseiller sur la gestion de la société.

Généralement, cette modification du rôle du conseil d’administration n’a pas de conséquence sur les responsabilités du DAF. Les actionnaires ont besoin d’informations financières aussi actuelles que possible, que seul le DAF est en mesure de fournir et de commenter avec précision et professionnalisme. Ainsi, le DAF assiste souvent aux conseils d’administration quand il n’en est pas lui-même membre. Sa présence au conseil l’oblige à être au courant de l’évolution de la concurrence, de la technologie. Quand il assiste les fondateurs, lors de la présentation aux capitaux-risqueurs d’un plan de développement actualisé, il doit être en mesure d’expliquer les modifications apportées d’un point de vue technique et économique, même si cette actualisation est d’abord discutée avec les actionnaires-fondateurs.

Accessoirement, on notera que les rapports entretenus par le DAF avec le noyau initial d’actionnaires s’avèrent précieux lors d’une éventuelle introduction en bourse. Être parfaitement capable de produire une information au fait des dernières évolutions technologiques et concurrentielles constitue un gage important de crédibilité pour réussir le placement d’une partie du capital sur le marché. Cette nouvelle dimension du rôle du DAF ne signifie pas pour autant qu’il est inféodé aux capitaux-risqueurs. Ces derniers n’interviennent que très rarement dans le processus de recrutement des DAF. Au cours de notre enquête, peu d’apporteurs de capital ont sollicité un entretien préalable à l’embauche des DAF. De son côté, Guillaume d’Ocagne a demandé à rencontrer les capitaux-risqueurs avant son embauche chez Intercall, pour s’assurer que le « courant » avec ces derniers « passait » bien.

A nouvelle économie, nouvelles responsabilités ? En fait, c’est moins l’étendue des responsabilités que leur mode d’exercice, qui rythme la vie d’un DAF au sein d’une start-up. Les priorités changent au fur et à mesure que celle-ci se structure. En conséquence, le DAF manage son service comme un prestataire de service interne, créateur de valeur ajoutée au profit des autres services et de l’organisation en général. Toutefois, le champ de responsabilités des DAF s’est élargi avec L’arrivée des capitaux-risqueurs dans le capital des startups, suivie quelquefois par une introduction en bourse. Dans un tel contexte, le DAF cesse d’être « l’homme de la règle à calcul » pour devenir un élément moteur puissant de L’entreprise grâce à ses qualités d’imagination, d’écoute et de communication. Nul doute que cette transformation du rôle du DAF ne s’étende tôt au tard aux PME de l’ancienne économie.

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